La prise d’acte de la rupture du contrat de travail est un mode de rupture original créé par la jurisprudence. Il permet au salarié de prendre l’initiative de la rupture de son contrat de travail lorsqu’il estime que l’employeur a commis des manquements à son égard empêchant sa poursuite.
La prise d’acte de la rupture par un salarié se déroule selon le schéma suivant :
- Le salarié quitte l’entreprise en formulant des griefs contre l’employeur ;
- Il saisit ensuite le Conseil de prud’hommes afin de tenter d’établir devant lui la réalité et la gravité des manquements invoqués ;
- Le Conseil statue sur les conséquences de la rupture, qui diffèrent selon que les manquements invoqués justifient ou non la prise d’acte de la rupture.
Le cabinet Siléas vous propose de revenir sur ce mode de rupture spécifique et notamment :
- Quelles sont les caractéristiques de la prise d’acte ?
- Quels sont ses effets ?
- Quels peuvent être des exemples d’agissements justifiant la prise d’acte de la rupture de son contrat par un salarié ?
- Comment s’articule-t-elle avec les autres modes de rupture du contrat de travail ?
Quelles sont les caractéristiques de la prise d’acte ?
La prise d’acte est un mode de rupture à l’initiative du seul salarié
L’employeur ne peut jamais prendre acte de la rupture du contrat, même en présence de manquements du salarié à ses obligations contractuelles. Il doit nécessairement mettre en œuvre la procédure de licenciement.
Tout salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail, y compris les salariés protégés ainsi que les salariés déclarés inaptes.
Concernant les salariés en CDD, l’article L.1243-1 du Code du travail n’autorise la rupture anticipée du contrat qu’en cas de faute grave ou de force majeure. La prise d’acte n’est donc possible que si le salarié reproche une faute grave à son employeur.
La prise d’acte n’est soumise à aucun formalisme
Elle peut être notifiée par écrit ou par oral.
La prise d’acte peut être rédigée par l’avocat du salarié, au nom de celui-ci, dès lors qu’elle est directement adressée à l’employeur (Cass. soc., 29 mars 2017, nº 15-28.992 F-D).
Quelles sont les effets de la prise d’acte ?
Cessation immédiate et définitive du contrat de travail
Le contrat de travail prend fin à la date de la prise d’acte.
Si celle-ci a été notifiée par écrit, le contrat est rompu à la date d’envoi de la lettre.
Cette rupture immédiate du contrat de travail signifie que :
- Le salarié ne peut plus ensuite se rétracter ( soc., 23 juin 2015, nº 14-13.714) ;
- Le salarié ne peut plus ensuite demander sa réintégration ( soc., 29 mai 2013, nº 12-15.974) ;
- L’employeur ne peut exiger du salarié qu’il accomplisse un préavis ( soc., 26 mai 2010, nº 08-70.253) ;
- L’employeur doit remettre au salarié ses documents de fin de contrat: solde de tout compte, certificat de travail et attestation Pôle Emploi. ( Soc. 4 juin 2008 n°06-45757).
Effets d’un licenciement ou d’une démission
Lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail, il saisit ensuite le Conseil de Prud’hommes afin que celui-ci examine les griefs invoqués à l’encontre de l’employeur.
Lorsque le Conseil de prud'hommes est saisi d'une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l'affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d'un mois suivant sa saisine. (Article L.1451-1 du Code du travail)
Il appartient au salarié de rapporter la preuve des manquements de l'employeur qu'il invoque.
En cas de doute sur la réalité des faits allégués, il profite à l’employeur. (Cass. Soc. 17 décembre 2003 n°01-45.286 ; Cass. Soc. 19 décembre 2007 n°06-44.754)
L’appréciation faite par les juges du fond est globale et ne s’effectue pas manquement par manquement. Ils examinent les griefs énoncés dans le courrier par lequel le salarié notifie à l’employeur qu’il prend acte de la rupture mais également tous les manquements que le salarié pourrait évoquer postérieurement (Cass. soc., 30 mai 2018, nº 17-11.082 F-D).
Contrairement au licenciement, la lettre de prise d’acte ne fixe pas les limites du litige.
En revanche, les faits découverts postérieurement à la prise d’acte ne peuvent être pris en compte par les juges.
- Si les juges considèrent que ces manquements sont suffisamment graves pour justifier la rupture immédiate du contrat de travail, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur est alors tenu de verser au salarié :
- l’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents ;
- l’indemnité compensatrice de congés payés ;
- l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ;
- des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- La prise d’acte peut également produire les effets d’un licenciement nul si les griefs reprochés sont de nature à entraîner la nullité du licenciement (par exemple : discrimination, harcèlement moral ou sexuel, salarié protégé…).
Dans cette hypothèse le salarié a droit aux indemnités de rupture ainsi qu’aux dommages-intérêts pour licenciement nul dont le montant ne peut être inférieur à six mois de salaire, étant précisé que le barème de l’article L.1235-3 du Code du travail ne s’applique pas dans cette hypothèse.
- Si les juges considèrent que ces manquements ne sont pas suffisamment graves, la prise d’acte produit les effets d’une démission.
Le salarié n’a dans ce cas droit à aucune indemnité de rupture, à l’exception de l’indemnité compensatrice de congés payés.
Le salarié peut, quant à lui, être condamné à verser une indemnité compensatrice de préavis à l’employeur ainsi que des dommages et intérêts si la rupture est considérée comme abusive (C. trav., art. L. 1237-2).
Exemples d’agissements ayant justifié ou non la prise d’acte de la rupture par le salarié
La jurisprudence apprécie concrètement et au cas par cas la réalité et la gravité des manquements invoqués par le salarié. Il est donc impossible de prévoir quelle sera l’issue d’un contentieux initié par un salarié dans le cadre de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail.
A titre d’exemple cependant, sont notamment susceptibles de justifier la prise d’acte de la rupture les manquements de l’employeur concernant :
- Son obligation de paiement du salaire ;
- Son obligation de protection de la santé et de la sécurité des salariés ;
- L’existence d’une modification unilatérale du contrat de travail.
Manquements de l’employeur à l’obligation de paiement du salaire
Le contentieux de prise d’acte de la rupture relatif à un manquement de l’employeur à son obligation de paiement du salaire est abondant.
Ont notamment été jugés comme justifiant la prise d’acte de la rupture par le salarié et produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse :
- La modification de sa rémunération imposée au salarié ( Soc. 18 janv. 2012, n° 10-23.332)
- Le défaut de paiement par l'employeur des heures supplémentaires effectuées par le salarié ( Soc. 16 mars 2011, n° 08-42.218)
A même été jugé comme produisant les effets d’un licenciement nul, la prise d’acte de la rupture du contrat par un salarié protégé motivée par le défaut de paiement des heures supplémentaires pendant les 5 années précédant la rupture du contrat. (Cass. Soc. 21 juin 2017, n° 17-11.227)
En revanche, la prise d’acte de la rupture par le salarié n’était notamment pas justifiée lorsque :
- L'employeur avait régularisé, avant la prise d'acte, le paiement des primes qui restaient dues à la salariée sur deux années consécutives ( Soc. 21 avr. 2017 n° 15-19.353)
- Le retard dans le paiement des salaires s’expliquait en partie par le retard dans le versement à l'employeur de subventions, et lorsque l’employeur a adressé par chèque le rappel de salaire restant dû avant que soit jugé la demande de résiliation judiciaire du salarié. ( Soc. 26 septembre 2012, n°10-28242)
Manquement de l’employeur à son obligation de protection de la santé et de la sécurité des salariés
En application de l’article L.4121-1 du Code du travail, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Un manquement à cette obligation est souvent synonyme de justification de la prise d’acte de la rupture par les salariés.
A titre d’exemple, ont été reconnus comme manquement de l’employeur à son obligation de sécurité justifiant la prise d’acte de la rupture par un salarié :
- Des violences physiques exercées sur le lieu de travail par l'un de ses collègues ; ( Soc. 30 oct. 2013, n° 12-15.133)
- Des propos blessants et humiliants proférés de manière répétée à l'encontre du salarié émanant d'un supérieur hiérarchique constitutifs de harcèlement moral ( Soc. 12 juin 2014, n° 13-13.951)
- Le fait pour l'employeur d’avoir laissé perdurer un conflit sans lui apporter de solution pendant plus de 3 ans entre un salarié et son supérieur hiérarchique, même en dehors de toute notion de harcèlement moral. ( Soc. 17 oct. 2012, n° 11-18.208)
- Le non-respect par l’employeur des dispositions du code de la santé publique sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics concernant les salariés ( Soc., 6 oct. 2010, n° 09-65.103).
Modification unilatérale du contrat de travail par l’employeur
Justifient la prise d’acte du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse :
- La modification de la rémunération contractuelle du salarié ( soc., 10 décembre 2014, nº 13-23.392) ;
- La modification des fonctions du salarié, même si l’employeur y a renoncé ensuite ( soc., 16 juin 2016, nº 15-12.134) ;
- Le retrait d’un véhicule de fonction ( soc., 16 décembre 2015, nº 14-19.794) ;
- Le passage même partiel à un horaire de nuit ( soc., 14 janvier 2015, nº 13-25.767) ;
- Le passage imposé d’un temps plein à un temps partiel ( soc., 23 septembre 2014, nº 13-18.004).
Pour le cas particulier du salarié protégé, celui-ci peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail en se prévalant d’une modification de son contrat de travail par l’employeur ou d’un simple changement de ses conditions de travail sans son accord préalable.
Comment s’articule la prise d’acte avec les autres modes de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié ?
- Lorsque le salarié démissionne en formulant des griefs à l’encontre de son employeur, cette démission peut être requalifiée en prise d’acte (Cass. soc., 30 octobre 2007, nº 06-43.327).
La solution est identique lorsque le salarié démontre que son départ en retraite était en réalité motivé par un différend avec son employeur (Cass. soc., 15 juin 2017, nº 15-29.085 F-D).
- Toute mesure de licenciement initiée postérieurement à la prise d’acte est non avenue.
Concernant le salarié protégé, toute demande d’autorisation de licenciement formulée postérieurement à la prise d’acte ne peut être examinée par l’inspecteur du travail qui doit se déclarer incompétent.
- Lorsque le salarié a déjà saisi le Conseil de prud’hommes d’une demande en résiliation judiciaire, il peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail en cours d’instance et pour les mêmes manquements reprochés à l’employeur.
Dans ce cas, la demande en résiliation judiciaire devient sans effet et le juge doit se prononcer sur la seule prise d’acte.