Dans un arrêt du 23 juin 2021, la Cour de cassation a indiqué que la vidéosurveillance constante d’un salarié exerçant seul son activité en cuisine était disproportionnée au regard du but allégué par l’employeur, à savoir la sécurité des personnes et des biens. Elle a précisé que par conséquent, la preuve issue d’un tel dispositif ne pouvait être produite à l’appui d’une sanction disciplinaire.
Cet arrêt rappelle que les employeurs qui mettent en place la télésurveillance au sein de leur entreprise doivent être vigilant quant à l’utilisation de cet outil.
Le cabinet SILEAS vous indique dans quelles mesures et dans quel cadre un employeur peut-il surveiller par caméra ses salariés.
Dans quelles conditions l’employeur peut-il avoir recours à la vidéosurveillance ?
L’installation de la télésurveillance doit s’articuler avec les dispositions de l’article 9 Code civil qui garantit à chacun le droit au respect de sa vie privée et de l’article 1121-1 du Code du travail qui prévoit que la restriction apportée aux droits des personnes et aux libertés doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.
C’est dans ce cadre que le Ministère du Travail a précisé que l’introduction de caméras sur le lieu de travail est possible, si elle est justifiée par des préoccupations de sécurité et non pas par le contrôle de l’activité des salariés (Rép. Min., 16 juin 1980).
Le nombre de caméras, leur emplacement, leur période de fonctionnement, leur orientation ainsi que la nature des tâches accomplies par les salariés surveillés sont des éléments permettant de déterminer si l'atteinte à la vie privée est proportionnée au but recherché.
Ainsi, la CNIL rappelle que les caméras, sauf circonstances spécifiques, ne doivent pas filmer les salariés sur leurs postes de travail. De plus, elles ne doivent pas filmer les zones de pause ou de repos des salariés, les toilettes ou les locaux syndicaux (CNIL – La télésurveillance – 27 novembre 2019).
En outre, la CNIL considère par exemple que l’installation de 240 caméras dont certaines permettaient de filmer le passage à la pointeuse des salariés et de contrôler ainsi leurs horaires de travail était abusive et que sa finalité dépassait la nécessité d’assurer la protection des biens et des personnes (Délib. CNIL, n°2013-029, 12 juillet 2013).
Par ailleurs, la CNIL a indiqué dans l’une de ses délibérations, que le fait de placer des salariés sous surveillance constante, générale et permanente avec des caméras les filmant jour et nuit sur leur poste de travail constitue une atteinte à leur vie privée (Délib. Cnil, n°2010-112, 2 avr. 2010).
La CNIL précise également que :
- Le seul fait que les salariés acceptent une surveillance en continu disproportionnée ne rend pas celle-ci licite (Délib. Cnil, n° 2012-475, 3 janv. 2013).
- La désactivation de l’option d'enregistrement n'est pas suffisante s'il est toujours possible de visualiser les images en temps réel (Délib. Cnil, 15 juin 2017, n° SAN-2017-009).
La Cour de cassation a repris la position de la CNIL dans un arrêt récent du 23 juin 2021 et a indiqué que la vidéosurveillance constante d’un salarié exerçant seul son activité en cuisine est disproportionnée au regard du but allégué par l’employeur, à savoir la sécurité des personnes et des biens (Cass. soc., 23 juin 2021, no 19-13.856).
Enfin, dans un question-réponse sur le télétravail, la CNIL a précisé que la surveillance constante au moyen de dispositifs vidéo ou audio est excessive. Ainsi, dans le cadre du télétravail, un employeur ne peut pas demander à ses salariés d’être en visioconférence durant tout son temps de travail (Questions-réponses de la CNIL sur le télétravail – 12 novembre 2020).
Dans quel cadre les images de la télésurveillance peuvent-elles être consultées ?
La CNIL rappelle que les images enregistrées peuvent uniquement être regardées par les personnes habilitées par l’employeur pour le faire (CNIL – La télésurveillance – 27 novembre 2019).
La CNIL précise que dans l’hypothèse où ces images sont accessibles à distance, il est nécessaire de sécuriser cet accès afin d’éviter que des personnes – en dehors de celles habilitées par l’employeur – puissent les visionner.
Enfin, la CNIL indique que c’est à l’employeur de définir la durée durant laquelle il peut conserver les images issues de la télésurveillance, étant précisé que cette durée doit être en lien avec l’objectif poursuivi (CNIL – La télésurveillance – 27 novembre 2019).
Quelles sont les formalités à accomplir avant de mettre en place la vidéosurveillance ?
- Formalités administratives
Depuis le 25 mai 2018, il n’est plus nécessaire d’effectuer une déclaration préalable auprès de la CNIL lors de la mise en place de vidéosurveillance.
Une autorisation préalable du préfet du département (ou du préfet de police à Paris) est requise lorsque les caméras filment un lieu ouvert au public (Art. L.252-1 du Code de la sécurité intérieure).
- Information préalable du Comité social et économique (CSE)
Le CSE doit être préalablement informé et consulté d’un projet d’installation d’un dispositif de vidéosurveillance (C. trav., art. L.2312-38).
Le défaut d’information du CSE constitue un délit d’entrave (Cass. Soc., 7 juin 2006, n°04-43.866).
- Information des salariés
Les salariés doivent être informés individuellement de l’installation de caméras de télésurveillance (C. trav., art., L.1222-4).
La Cour de cassation a précisé que cette information devait porter sur la mise en place d’un système de télésurveillance mais également sur l’utilisation qui pourrait en être faite à leur égard (Cass. Soc., 10 janvier 2012, n°10-23.482).
Cette obligation concerne les salariés embauchés postérieurement à l’installation de caméras mais également ceux qui travaillaient déjà au sein de l’entreprise lors de l’installation (Cnil, Délib. n°2009-201, 16 avril 2009).
<H2> Comment s’articule la vidéosurveillance avec le RGPD ? <H2>
En application de l’article 13 du RGPD, les informations suivantes doivent être portées à la connaissance des salariés de l’entreprise - et dans l’hypothèse où le lieu surveillé est public, des visiteurs - au moyen de panneaux affichés en permanence de façon visible dans les lieux concernés et comportant le pictogramme d’une caméra :
- L’identité et les coordonnées du responsable du traitement et le cas échéant, du délégué à la protection des données ;
- La finalité du traitement ;
- L’existence de droits « Informatiques et Libertés ;
- La durée de conservation des images ;
- L’existence du droit de demander au responsable du traitement l’accès aux images, la rectification ou l’effacement de celles-ci, ou une limitation du traitement relatif à la personne concernée, ou du droit de s'opposer au traitement et du droit à la portabilité des images.
La CNIL précise que les informations suivantes doivent également être portées à la connaissance des salariés et du public, notamment par le biais d’un site internet (CNIL – La télésurveillance – 27 novembre 2019) :
- La base légale du traitement ;
- Les destinataires des données personnelles, y compris ceux établis en dehors de l’Union européenne ;
- Toute information complémentaire devant être portée à l’attention des personnes concernés.
La vidéosurveillance peut-elle être utilisée comme un moyen de preuve ?
Lorsque toutes les conditions précitées ont été respectées, l’employeur peut évidemment produire les images issues de la télésurveillance afin d’appuyer une sanction disciplinaire ou une action pénale.
Dans l’hypothèse où les conditions précitées n’ont pas été respectées, la Chambre sociale et la Chambre criminelle de la Cour de cassation sont divisées sur la question de la licéité de l’utilisation des images de télésurveillance en tant que preuve.
En effet, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que la preuve obtenue par télésurveillance à l’insu du salarié et sans information et consultation préalable des représentants du personnel est illicite (Cass. Soc., 15 mai 2001, n°99-42.219).
La Chambre criminelle de la Cour de Cassation considère quant à elle, concernant l’utilisation d’images de télésurveillance obtenues à l’insu du salarié, qu’« aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens produits au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale » (Cass. Crim., 6 avril 1994, n°93-82.717).
En raison de cette divergence, il est tout à fait possible que des images de télésurveillance obtenues sans que les conditions précitées n’aient été respectées, soient écartée dans le cadre d’une action relative au bien-fondé d’un licenciement et ne le soient pas dans le cadre d’une action pénale (Vol d’un salarié par exemple).