COMMENT GERER LE FAIT RELIGIEUX DANS L’ENTREPRISE ?

Religion et entreprise : le « guide pratique » du gouvernement est paru !

La publication, par le Ministère du travail le 26 janvier 2017, de la version définitive du « guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées » est l’occasion de revenir sur les problèmes managériaux rencontrés par les employeurs en cas de manifestations par les salariés de leurs convictions religieuses au sein de l’entreprise.

Selon une étude Randstad du 22 septembre 2016, près de 65% des salariés ont observé plusieurs manifestations du fait religieux dans leur entreprise, ces situations étant conflictuelles dans 9% des cas.

Ces événements peuvent survenir dans toutes les étapes de la relation contractuelle : lors du recrutement du salarié, dans le cadre de la vie collective de l’entreprise, dans la gestion du temps de travail et des congés ou encore pendant l’exécution du contrat..

Face à la complexité de la question et à défaut de règles claires, les actions de l’employeur doivent être guidées par le respect des principes généraux définis par la loi. La jurisprudence a également apporté, ponctuellement, des réponses précises à certaines situations.

Connaître et établir des règles de gestion de la religion au sein de votre entreprise

 

Les principes à connaître

Les convictions religieuses constituent tout à la fois une liberté fondamentale des salariés qu'il convient de respecter, mais également une composante de leur vie intime qui impose à l’employeur une stricte neutralité à cet égard, sous peine de commettre une discrimination.  (Articles L.1121-1 et L.1132-1 du Code du travail).

La protection des convictions religieuses n’est pas clairement rattachée soit aux dispositions relatives à la protection des libertés fondamentales, soit aux dispositions relatives au principe de non-discrimination. Il en résulte parfois la seule application des protections des libertés fondamentales, soit une combinaison des deux dispositifs.

Dans ce contexte, la plus grande prudence s’impose et l’employeur doit veiller à ce que toute restriction apportée aux convictions religieuses des salariés :

 

Le principe de neutralité et le règlement intérieur de l’entreprise

Le principe de laïcité ou de neutralité religieuse étant propre aux entreprises publiques ou aux entreprises privées en charge d’un service public (Cass.Soc. 19 mars 2013 n°12-11690), il n’est pas possible pour les entreprises privées de s’en prévaloir.

La loi « Travail » du 8 août 2016 a  toutefois prévu pour les entreprises privées de droit commun la possibilité d’introduire, au sein de leur règlement intérieur, des dispositions inscrivant un « principe de neutralité » et restreignant la manifestation des convictions des salariés. (Article L.1321-2-1 du Code du travail, issu de la loi du 8 août 2016)

 

Sous quelles conditions ces dispositions peuvent-elles être mises en place ?

  • Si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ;
  • Si elles sont proportionnées au but recherché.

Le ministère du travail fournit quelques exemples de situation justifiant l’insertion de telles dispositions :

  • Les nécessités de l’activité au regard du personnel ou des tiers intéressés ;
  • L’atteinte aux droits et libertés des autres salariés, notamment « l’égalité entre les sexes, le droit de croire ou de ne pas croire ou la dignité humaine ». 

 

Comment procéder ?

Compte tenu de la sensibilité du sujet, il est fortement recommandé d’initier au préalable un état des lieux de l’entreprise, en concertation avec les représentants du personnel.

Afin de répondre aux exigences de proportionnalité et de justification de la loi, il est en effet impératif d’identifier précisément les causes des difficultés, leur incidence réelle et les solutions possibles à y apporter.

Une fois le projet de modification du règlement intérieur adopté, l’employeur doit recueillir l’avis préalable du comité d’entreprise, ou à défaut, des délégués du personnel, avant de communiquer à l’inspection du travail la nouvelle version du règlement intérieur. (Article L.1321-4 du Code du travail)

A notre sens, si la restriction de certaines pratiques religieuses est justifiée par un impératif de protection de la santé, de l’hygiène et de la sécurité des salariés, il serait judicieux d’obtenir l’avis du Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail.

Le règlement intérieur ainsi modifié doit être déposé au greffe du conseil de prud’hommes et être porté à la connaissance des salariés. (Article R.1321-1 et R.1321-2 du Code du travail).

Enfin, pour que le règlement intérieur soit bien appliqué, une formation spécifique de l’équipe managériale est essentielle.

 

Réagir et manager les manifestations des convictions religieuses des salariés

 

L’employeur ne peut se renseigner sur les convictions religieuses de ses salariés

Le principe de non-discrimination implique que seules les exigences professionnelles liées à la nature du poste à pourvoir peuvent figurer dans l’offre d’emploi. (Article L.1221-6 du Code du travail et L.1222-2 du Code du travail)

Ainsi, il est prohibé :

  • de mentionner des critères religieux dans une offre d’emploi
  • d’interroger un candidat sur ses convictions religieuses
  • d’écarter cette candidature pour ce motif (Article 1132-1 et L.5321-2 du Code du travail) 

L’employeur a donc, d’une certaine manière, une véritable obligation de cécité à l’égard des convictions religieuses de ses salariés. A titre d’exemple, il a déjà été jugé que le fait pour un individu postulant pour un emploi de ne pas révéler son état de prêtre ne saurait constituer une faute de ce salarié. (Cass.Soc. 17 octobre 1973 n°72-40360)

 

Un salarié peut-il exprimer ses convictions religieuses au travail ?

  • Le principe : pas d’interdiction générale et absolue

Le principe demeure celui de la liberté d’expression des salariés au sein de l’entreprise, y compris de leurs convictions religieuses.  Un employeur ne peut donc valablement édicter une interdiction générale et absolue des discussions religieuses au sein de son entreprise. (Conseil d’Etat, 25 janvier 1989, n°64.296) 

  • L’exception : l’interdiction des abus de la liberté d’expression et du prosélytisme

La Cour de cassation a jugé que la transmission d’un message à caractère religieux par un salarié à ses collègues durant son temps de travail constituait un « abus dans l’usage de la liberté d’expression » justifiant son licenciement. (Cass.Soc. 1er juillet 2015 n°14-13871).

Défini par le ministère du travail comme « le zèle ardent pour recruter ses adeptes, pour tenter d’imposer ses convictions, notamment, religieuses à d’autres salariés », de nombreuses juridictions de fond ont pu caractériser du prosélytisme dans les cas suivants :

  • Un salarié manutentionnaire-livreur qui ponctue son activité professionnelle d’invocations et de chants religieux (Cour d’Appel de Basse-Terre, 6 novembre 2006 n° 06/00095)
  • Un salarié qui multiplie les digressions ostentatoires orales sur la religion (CA Rouen, 25 mars 1997 n°95/04028)
  • Un aide à domicile qui fait de la propagande auprès de personnes âgées ou fragilisées (CA Nancy 30 juin 2006, n°04/1847)

 

Un salarié peut-il porter un symbole religieux au travail ?

N’étant pas en soi un comportement prosélyte (CE 27 novembre 1996 n°172.787), le port d’un vêtement ou d’un symbole religieux n’est pas pour autant un droit fondamental et peut être prohibé par l’employeur en cas de nécessités d’ordre professionnel, si la restriction est justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché. (Cass.Soc. 28 mai 2003 n°02-40.273)

Excepté le cas du voile intégral, dont le port est pénalement répréhensible depuis la loi du 22 mars 2010, l’employeur doit donc justifier, par exemple, d’impératifs de sécurité ou d’hygiène.

La HALDE (désormais défenseur des droits) a ainsi considéré la restriction du port du voile justifiée pour des salariées travaillant en cuisine ou en contact avec des denrées alimentaires, le port d’une charlotte ou d’un calot étant réglementaire. (Délibérations HALDE n°2010-166 18 octobre 2010).

L’image, la relation avec les clients ou l’intérêt commercial de l’entreprise peut-il justifier l’interdiction du port de symboles religieux?

Le contact avec la clientèle, qui émet parfois elle-même des réticences à être confrontée aux convictions des salariés de l’entreprise, est souvent un motif invoqué par les employeurs pour justifier une restriction.

Ce motif est strictement contrôlé par les juges du fond, qui ont déjà pu prononcer licite le licenciement :

  • d’une vendeuse d’articles de mode féminin qui refusait de retirer « le vêtement qui la couvrait de la tête aux pieds », aux motifs que cette tenue ne correspondait pas à l’esprit de la boutique et aux attentes de la clientèle. (CA Saint Denis Réunion, chambre sociale 9 septembre 1997 n°97/703306).
  • D’une vendeuse qui refusait de retirer le foulard lui masquant une partie du visage (CA Paris 18ème chambre E , 16 mars 2001 n°1999/31302)

Cette justification est toutefois amenée à être confortée ou invalidée par la Cour de justice européenne, qui devra déterminer prochainement si le souhait d’un client de ne plus être traitée par une salariée voilée pouvait permettre à son employeur d’interdire le port du voile. (Cass. Soc. 9 avril 2015 n°13-19.855)

 

Un salarié peut-il refuser d’exécuter ses missions au nom de ses convictions religieuses ?

Un salarié ne peut refuser d’exécuter ses obligations contractuelles en raison de ses convictions religieuses. Ont été jugés valables les licenciements prononcés à l’encontre de salariés qui :

  • Refusait de goûter les plats de viande non hallal et de toucher les bouteilles de vin en raison de ses convictions religieuses (CA Pau chambre sociale 18 mars 2002 n°02/1015)
  • Refusait de passer la visite médicale périodique, dont l’organisation avait été changée, au motif que ce changement la rendait incompatible avec ses convictions religieuses (Soc. 29 mai 1986 n°83-45.409)

 

Doit-on aménager les horaires et les congés de ses salariés en raison de leurs convictions religieuses ?

  • Les congés et absences du salarié

A défaut de congés ou absences pour motifs religieux expressément prévus par accord collectif, les congés du salarié sont soumis à autorisation de l’employeur, qui est en droit de les refuser. 

L’absence ou la prise de congés sans cette autorisation constitue une faute du salarié et peut justifier une mesure disciplinaire. Il a ainsi été jugé d’un salarié qui s’était absenté sans autorisation le jour de la fête de l’Aïd El Kébir et qui avait été licencié.  (Cass.Soc. 16 décembre 1981 n°79-41.300)

L’employeur doit cependant veiller à :

  • Prononcer, en cas d’absence non autorisée, une sanction proportionnée à la gravité du manquement et à ses conséquences sur le bon fonctionnement de l’entreprise.

- Les prières

Lorsqu’elles sont commises en dehors du temps de travail et à condition de ne pas entraver le fonctionnement normal de l’entreprise ou de constituer du prosélytisme, les prières sont normalement autorisées pour le salarié.

En revanche, l’employeur est en droit de s’opposer à ce que le salarié quitte son poste ou s’arrête de travailler pour pratiquer ses prières.

L’employeur n’est également pas tenu d’aménager les horaires des salariés pour leur permettre d’accomplir leurs prières. Il a déjà été jugé qu’un employeur avait valablement refusé de modifier les horaires d’un salarié, qui souhaitait se rendre sur son lieu de culte de 14 à 15 heures chaque vendredi afin de pratiquer sa confession. (Conseil d’Etat 16 février 2004 n°264314)