Une concertation sur le télétravail, prévue par l’article 57 de la loi du 8 août 2016, s’est tenue en ce début d’année 2017 et a abouti sur un rapport conjoint signé à l’unanimité des partenaires sociaux représentatifs au niveau national interprofessionnel. Ce rapport a été remis le 7 juin 2017 à la nouvelle Ministre du Travail Madame Muriel Pénicaud. Le sujet du télétravail pourrait ainsi intégrer la réforme du Code du travail annoncée par ordonnances pour la rentrée 2017.
A l’heure du développement des espaces de coworking et de l’arrivée massive sur le marché du travail des “digital natives”, il semble nécessaire de moderniser et de sécuriser le cadre juridique du télétravail, demeuré inchangé depuis 2005.
Selon l’article L.1222-9 al 1 du Code du travail et l’article 2 de l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005, le télétravail désigne « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les TIC (technologies de l’information et de la communication) dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci »
Cette pratique, encore peu développée en France, soulève de nombreuses questions telles que le contrôle de la charge de travail, la protection des données personnelles ou encore le droit à la déconnexion.
Le télétravail bouscule la notion classique de management et de relation hiérarchique et oblige à trouver un juste équilibre entre contrôle du travail et véritable relation de confiance indispensable à un télétravail efficace et serein.
Toutefois, elle présente de nombreux avantages pour l’employeur comme pour le salarié : source de flexibilité, meilleure articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, hausse de productivité ou encore optimisation de la qualité du travail.
Les partenaires sociaux, dans leur rapport conjoint remis en juin 2017, ont synthétisé les avantages et inconvénients du télétravail - tant pour l’employeur que pour le salarié.
Mode d’emploi de cette pratique “en marche” !
QUELLES SONT LES FORMES DE TÉLÉTRAVAIL ?
Le télétravail peut revêtir plusieurs formes :
- télétravail au domicile. Le salarié exécute son travail à son domicile en utilisant un matériel mis à sa disposition par son employeur ;
- travail alterné ou pendulaire. Le salarié travaille en alternant périodes passées sur le lieu de travail et périodes passées au domicile ;
- télétravail en centre de proximité. Le salarié travaille dans des bureaux disposant d’équipements informatiques et de télécommunication proposés par son employeur.
COMMENT METTRE EN PLACE UN TÉLÉTRAVAIL ?
La mise en œuvre du télétravail requiert d’être anticipée avec de multiples acteurs : la direction des ressources humaines, les directions informatiques, techniques, les managers, les institutions représentatives du personnel, les collaborateurs et les futurs télétravailleurs.
Les conditions nécessaires à l’existence d’un télétravail
Pour qu’il y ait télétravail au sens du code du travail et de l’ANI du 19 juillet 2005, il faut que toutes les conditions suivantes soient réunies :
- le travail effectué en télétravail pourrait être exécuté dans les locaux de l’employeur ;
- le travail est effectué hors des locaux de l’entreprise. Il peut donc s’agir du domicile du salarié (résidence principale ou secondaire), d’un espace de travail dans un bureau, un télécentre, un centre d’affaires, etc., ou de tout autre lieu dès lors qu’il ne s’agit pas des locaux de l’employeur.
- l’exécution du travail hors des locaux de l’employeur s’effectue de façon régulière et volontaire. Le télétravailleur peut ainsi alterner des périodes de travail dans l’entreprise et des périodes hors de l’entreprise, mais un travail occasionnel ou ponctuel hors des locaux de l’entreprise ne sera pas considéré comme du télétravail.
- le travail effectué nécessite l’usage des technologies de l’information et de la communication (ordinateur, internet, etc.). Le poste doit donc être « télé travaillable ». Il ne peut s’agir d’activités qui par nature nécessitent d’être exercées dans les locaux de l’entreprise, soit en raison des équipements, soit pour un motif de sécurité, soit en raison de la nécessité par exemple d’une présence physique dans les locaux.
Les consultations préalables
Le comité d’entreprise (CE) ou, à défaut, les délégués du personnel est informé et consulté sur l’introduction du télétravail dans l’entreprise et sur les modifications ultérieures qui lui sont apportées (ANI du 19/7/2005, art. 11, article L.2323-1 du Code du travail).
Le CHSCT doit également être consulté avant toute décision de mise en place du télétravail, et ce au titre de sa compétence en matière d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (article L. 4612-8-1 du code du travail).
L’absence d’exigence d’un accord collectif prévoyant le recours au télétravail
Le télétravail peut être mis en place dans l’entreprise même en l’absence d’accord collectif de branche ou d’entreprise le prévoyant.
Toutefois, si l’entreprise entend généraliser le télétravail, il est recommandé de le mettre en place par accord collectif afin d’encadrer et donc de sécuriser cette pratique.
Cet accord peut notamment prévoir :
- la définition du télétravail ;
- les conditions d’éligibilité au télétravail ;
- le lieu d’exécution du télétravail ;
- les modalités de demande du télétravail, qu’elle émane du salarié ou de l’employeur ;
- les motifs et les modalités d’acceptation et de refus de la demande ;
- la formalisation de l’accord entre les parties ;
- la période d’adaptation ou de réversibilité ;
- les modalités de participation financière aux frais de télétravail, etc.
La nécessaire formalisation du télétravail par un accord entre l’employeur et le salarié
Le télétravail repose sur un double volontariat : il doit être voulu tant par le salarié que par l’employeur (article 2 ANI 2005).
Le salarié peut proposer à son employeur de recourir au télétravail mais ce dernier peut parfaitement refuser, notamment au regard des caractéristiques du poste du salarié.
A l’inverse, un salarié peut refuser une proposition de passage en télétravail formulée par l’employeur. Ce refus ne peut constituer, à lui seul, un motif de rupture de son contrat de travail.
Le passage en télétravail se formalise par un accord écrit entre le salarié et l’employeur qui peut être :
- soit le contrat de travail si le télétravail est mis en place dès l’embauche
- soit un avenant au contrat de travail si le télétravail est mis en place postérieurement à l’embauche, au cours de la relation contractuelle
Quelles sont les mentions obligatoires ?
Selon le Code du travail, le contrat de travail ou l’avenant doivent mentionner :
- les conditions de passage en télétravail (C. trav., art. L. 1222-9, al. 4) ;
- les modalités de contrôle du temps de travail, à défaut d’accord collectif applicable (C. trav., art. L. 1222-9, al. 5) ;
- les plages horaires durant lesquelles l’employeur peut contacter le salarié (C. trav., art. L. 1222-10, 5º) ;
- les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail(C. trav., art. L. 1222-9, al. 4 et art. 3 de l’ANI) : modalités de la demande du télétravailleur, celles de la réponse de l’employeur, les conditions de retour, les facultés de refus, etc.
- la période d’adaptation pendant laquelle chacune des parties peut mettre fin au télétravail moyennant un délai de prévenance préalablement établi (art. 2 de l’ANI). Dans ce cas, le salarié doit retrouver un poste dans les locaux de l'entreprise correspondant à sa qualification.
L’ANI de 2005 préconise également d’indiquer :
- le rattachement hiérarchique
- les modalités d’évaluation de la charge de travail
- les modalités de compte rendu et de liaison avec l’entreprise
- les règles d’utilisation des équipements, leur coût, les assurances, etc.
QUELLES RÈGLES S’APPLIQUENT AUJOURD’HUI AU TÉLÉTRAVAIL ?
Le télétravail est régi par :
- les dispositions du code du travail (articles L. 1222-9 à L. 1222-11 issus de la loi du 22 mars 2012)
- les dispositions de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005 « relatif au télétravail ».
Quels sont les droits du télétravailleur ?
L’ANI de 2005 dispose que les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise : respect de la vie privée, accès aux activités sociales de l’entreprise, congés, vote et éligibilité aux élections professionnelles…
Les télétravailleurs ont notamment le même accès à la formation et aux possibilités de déroulement de carrière que les autres salariés de l’entreprise en situation comparable. Ils reçoivent en outre une formation appropriée sur cette forme d’organisation du travail et sur les équipements techniques, tout comme leur responsable hiérarchique et leurs collègues directs (art. 10 de l’ANI).
S’agissant des accidents du travail, l’article L.411-1 du Code de la sécurité sociale précise qu’est « considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise ».
De ce fait, le télétravail n’étant qu’un déplacement du lieu de travail, au domicile du salarié ou dans un tiers lieu, la présomption d’imputabilité relative aux accidents de travail s’applique en cas de télétravail formalisé.
Quelles sont les obligations du télétravailleur ?
L’ANI du 19 juillet 2005 fixe également les obligations du télétravailleur. Celui-ci doit ainsi :
- prendre soin des équipements qui lui sont confiés (article 7 ANI);
- aviser immédiatement l’entreprise en cas de panne ou de mauvais fonctionnement de ceux-ci (article 7 ANI);
- se conformer aux règles relatives à la protection des données utilisées et traitées à des fins professionnelles et aux restrictions à l’usage des équipements ou outils informatiques (Internet en particulier) exigées par l’employeur (article 5 ANI);
- respecter et appliquer les politiques de l’entreprise en matière de santé et de sécurité, en particulier les règles relatives à l’utilisation des écrans de visualisation que l’employeur lui impose (article 8 ANI).
Quelles sont les obligations à la charge de l’employeur ?
Selon l’article L.1222-10 du code du travail : outre ses obligations de droit commun vis-à-vis de ses salariés, l’employeur est tenu :
- De prendre en charge tous les coûts découlant directement de l'exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ;
- D'informer le salarié de toute restriction à l'usage d'équipements ou outils informatiques ou de services de communication électronique et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions ;
- De lui donner priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et de porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature ;
- D'organiser chaque année un entretien qui porte notamment sur les conditions d'activité du salarié et sa charge de travail ;
- De fixer, en concertation avec lui, les plages horaires durant lesquelles il peut habituellement le contacter.
Il appartient également à l’employeur de veiller au respect de la réglementation sur le temps de travail, notamment en s’assurant de la fiabilité du système de décompte des heures supplémentaires, même si le salarié télétravailleur gère librement ses horaires de travail.
Il doit mettre en place des moyens de contrôle du temps de travail adaptés : système d'auto-déclaration du salarié, installation d'un logiciel de pointage sur son ordinateur, système de surveillance informatisé (temps de connexion sur l'ordinateur)...
La direction doit veiller à ce que les horaires de télétravail ne coïncident pas avec un temps de repos quotidien (11 heures) ou hebdomadaire (35 heures).
L’ANI de 2005 dispose également que l’employeur s’assure que des mesures sont prises pour prévenir l’isolement du télétravailleur par rapport aux autres salariés de l’entreprise.
A cet effet, le télétravailleur doit pouvoir rencontrer régulièrement sa hiérarchie et ses collègues. Il est souhaitable que l’employeur désigne, dans cette perspective, un référent.
L’article 7 de l’ANI prévoit également que l’employeur fournit, installe et entretient les équipements nécessaires au télétravail.
Lorsque le télétravailleur utilise son propre équipement, l’employeur doit en assurer l’adaptation et l’entretien. Dans tous les cas, l’employeur fournit au télétravailleur un service approprié d’appui technique.
L’employeur doit également être vigilant à la protection des données (article 5 ANI).
Il lui incombe de prendre, dans le respect des prescriptions de la CNIL, les mesures qui s’imposent pour assurer la protection des données utilisées et traitées par le télétravailleur à des fins professionnelles.
L’employeur informe le télétravailleur :
- des dispositions légales et des règles propres à l’entreprise relatives à la protection de ces données et à leur confidentialité.
- de toute restriction à l’usage des équipements ou outils informatiques comme l’Internet et, en particulier, de l’interdiction de rassembler et de diffuser des matériels illicites via l’Internet
- des sanctions en cas de non-respect des règles applicables.
À NOTER : La Cnil a publié une fiche de bonnes pratiques permettant de concilier sécurité des données de l’entreprise et protection de la vie privée du salarié connecté lorsque le télétravail implique l’utilisation d’outils informatiques personnels à des fins professionnelles (v. fiche pratique « BYOD : quelles sont les bonnes pratiques ? », disponible sur le site www.cnil.fr).
En outre, depuis le 1er janvier 2017, les entreprises dans lesquelles sont constituées une section syndicale et dans lesquelles a été désigné au moins un délégué syndical (donc, en principe celles d’au moins 50 salariés) doivent, chaque année, engager une négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail qui doit porter sur le droit à la déconnexion des travailleurs et sur la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale (article L.2242-8 du Code du travail).
A défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel qui définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion.
Enfin, l’employeur est tenu de respecter la vie privée du télétravailleur. Si un moyen de surveillance est mis en place, il doit être pertinent et proportionné à l’objectif poursuivi, l’employeur doit informer et consulter préalablement le CE ou à défaut les délégués du personnel ainsi qu’informer le télétravailleur (art. 6 de l’ANI).
LES NOUVEAUX ENJEUX DU TÉLÉTRAVAIL IDENTIFIÉS PAR LES PARTENAIRES SOCIAUX
Les partenaires sociaux ont transmis le 7 juin à la ministre du Travail un rapport conjoint identifiant les nouveaux enjeux du télétravail et émettant différentes recommandations pratiques et juridiques au regard de multiples retours d’expériences.
Il en ressort notamment qu’un terme doit être mis à la pratique du télétravail informel ou “gris” c’est à dire à une situation non encadrée par un avenant ou un accord collectif qui représenterait aujourd’hui ⅔ des situations de télétravail.
Le cadre juridique du télétravail doit être clarifié et donc sécurisé en particulier en matière de santé et de sécurité.
Des solutions pratiques permettant de garantir la santé et la sécurité des salariés ont été proposées telles que la possibilité de faire signer au salarié une attestation sur l’honneur quant à la conformité de son logement, le financement d’un audit de conformité auprès d’un organisme certifié ou encore l’obtention par l'assureur d’une attestation pour l’utilisation du domicile à des fins professionnelles.
Concernant les frais liés au télétravail au domicile, le rapport dénonce qu’en matière de prise en charge des coûts par l’employeur l’évaluation au réel, retenue par l’URSSAF, n’est plus en cohérence avec la réalité des dispositions prises dans de nombreux accords pour indemniser forfaitairement les coûts du télétravail au domicile (siège, accès internet…). Les partenaires sociaux préconisent alors une réforme de l’évaluation de ces frais professionnels sur une base forfaitaire légale ou conventionnelle.
Le rapport met également en avant le recours au télétravail pour faciliter le maintien dans l’emploi de personnes en situation de handicap ou dont l’état de santé nécessite des adaptations du poste de travail.
Les partenaires sociaux concluent ce rapport en préconisant d’élargir la réflexion au travail nomade ou mobile, et donc de prendre en compte le fort développement de la mobilité associée à l’utilisation croissante des technologies numériques.
Ils invitent les entreprises, les branches et les acteurs de la négociation sociale interprofessionnelle à prendre en compte les suggestions et conclusions de ce rapport et de définir la suite qu’ils entendent donner à ces travaux.