Loi de ratification des Ordonnances Macron : Accords de « performance collective » et derniers ajustements des modalités de la négociation collective

 

Voté par l’Assemblée nationale le 28 novembre 2017, le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi d’habilitation du 15 septembre 2017 a été adopté par le Sénat le 24 janvier 2018, dans des termes distincts.

La Commission mixte paritaire s’est alors réunie et a trouvé un compromis le 31 janvier 2018.

Ce texte a été adopté par l’Assemblée Nationale le 7 février 2018 puis par le Sénat le 14 février 2018 dans les mêmes termes.

A ce jour, il n’est encore qu’un « projet de loi » appelé « petite loi » dans l’attente de sa publication au journal officiel. Il fait actuellement l’objet d’un recours devant le Conseil Constitutionnel.

Après avoir traité des modifications apportées au CSE et de celles en matière des relations individuelles de travail, le dernier volet de cette série d’articles est consacré aux dispositions relatives à la négociation collective de branche, d’entreprise et aux accords qui en sont issus, notamment les accords nouvellement baptisés « de performance collective ».

 

Modifications relatives au régime des conventions et accords collectifs de branche et d’entreprise

 

Le dispositif de publicité des accords collectifs de branche et d’entreprise, nouveauté des ordonnances, est remanié : l’anonymisation des parties à la négociation devient systématique et les exceptions à la publicité sont élargies et précisées.

Plus importants sont les apports de la loi de ratification sur les modalités de négociation et d’extension des accords de branche, ainsi que de leur comparaison avec les accords d’entreprise.

Le législateur s’est également saisi de la question de la rémunération à maintenir suite à la mise en cause d’un accord collectif, ainsi que celle des modalités de désignation des délégués syndicaux.

Enfin, les accords de compétitivité sont par ailleurs rebaptisés « Accords de performance collective » et leur régime légal est étoffé.

 

Nouvelles règles de publicité des accords collectifs d’entreprise et de branche

Les noms et prénoms des négociateurs et signataires devront obligatoirement être supprimés des accords d’entreprise et de branche déposés pour publication sur le site internet prévu à cet effet, en l’occurrence le site déjà utilisé comme base de données juridiques publique LégiFrance : legifrance.gouv.fr.

Le régime transitoire, qui prévoyait l’anonymisation automatique et obligatoire des accords déposés jusqu’en janvier 2018, est donc pérennisé par la loi de ratification.

Par ailleurs, le principe de la publicité obligatoire des accords souffre dorénavant de plusieurs exceptions: (Article L.2231-5-1 modifié du Code du travail)

Les accords portant sur un plan de sauvegarde de l’emploi, les accords de performance collective et ceux relatifs à l’épargne salariale ne seront plus soumis à l’obligation de publication.

De plus, la loi énonce que pour les accords de groupe, d’interentreprises, d’entreprise ou d’établissement, l’employeur pourra demander l’occultation d’une partie de l’accord lors de sa publication, « si les éléments sont de nature à porter atteinte aux intérêts stratégiques de l’entreprise ». Selon cette nouvelle disposition, l’employeur n’a plus à obtenir l’accord des syndicats pour ce faire.

Cette possibilité d’occultation partielle est toutefois refusée aux accords de branche, professionnels ou interprofessionnels.

 

Modifications relatives aux négociations et l’application d’accords de branche

De nombreuses dispositions de la loi viennent apporter différentes retouches sur les modalités de négociation et d’application des accords de branche : information des salariés sur ces accords, rémunération des salariés négociateurs dans les PME, arrêtés d’extension, durée de vie des accords de méthode de négociation de branche et champ d’application des dispositions transitoires des ordonnances du 22 septembre 2017.

  • La loi de ratification confirme que chaque année, l’employeur est tenu d’informer les salariés (le destinataire de l’information étant désormais explicité) par tous moyens dans l’entreprise, de la disponibilité de l’adresse, sur le site du Ministère du travail, des syndicats représentatifs dans la branche dont relève l’entreprise. (Article L.2141-7-1 modifié du Code du travail)
  • Les modalités de la prise en charge des salaires des salariés des PME négociateurs de branche sont établies : il s’agira d’un montant forfaitaire fixé par arrêté ministériel. Ces modalités s’appliqueront aux salariés ayant participé aux négociations engagées après le 31 décembre 2017. (Article L.2232-8 modifié du Code du travail, Article 4 de la Loi de ratification)
  • Un arrêté d’extension de convention de branche et d’accord professionnel ou interprofessionnel pourra à l'avenir être refusé pour un nouveau motif, celui « d’objectifs de la politique de l’emploi ». Ce motif vient s’ajouter à ceux déjà prévus : contradiction avec des dispositions légales et motifs d’intérêt général, notamment pour atteinte excessive à la libre concurrence. (Article L.2261-25 modifié du Code du travail, Article 2 de la loi de ratification)
  • La durée des accords de méthode sur les négociations obligatoires de branche est portée à cinq ans au lieu de quatre actuellement. (Article L.2241-5 modifié du Code du travail)
  • Les dispositions de l’article 16 de l’ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017 seront, dès la publication de la loi, applicables aux accords de branche et à tous les accords couvrant un champ territorial ou professionnel plus large :
  • Les conditions relatives à l’efficacité des clauses de verrouillage contenues dans les accords de branche (à savoir porter sur une matière que la branche peut verrouiller par application de l’article L.2253-3 du Code du travail et être confirmée par avenant avant le 1er janvier 2019) s’appliqueront également à tous les accords couvrant un champ territorial et professionnel plus large que les accords d’entreprise. (Article 16 modifié de l’ordonnance du 22 septembre 2017 portant sur la négociation collective)

> De la même manière, les dispositions transitoires de l'ordonnance prévoyaient que dans les domaines où l'accord d'entreprise primerait, en toute hypothèse, sur les accords de branche ou tout autre accord ayant un champ d'application territorial ou professionnel plus large, les dispositions en cause des accords de branche cesseraient de produire leurs effets, en cas d'accord d'entreprise, à compter du 1er janvier 2018.

> La loi de ratification complète ces dispositions transitoires en précisant que la date du 1er janvier 2018 concerne également les accords ayant un champ d'application territorial ou professionnel plus large.

 

Accord de branche et d’entreprise : précision sur l’appréciation de l’équivalence des garanties

L'ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017 avait introduit la notion d’ « équivalence des garanties » dans les matières où les accords de branche priment sur ceux d’entreprise, ces derniers ne peuvent s’appliquer qu’à condition de prévoir des garanties « au moins équivalentes ».

La loi de ratification éclaircit la notion en exposant que « cette équivalence des garanties s’apprécie par ensemble de garanties se rapportant à la même matière. » (Article L.2253-1 et L2253-2 modifiés du Code du travail).

Les premières décisions mettant en œuvre ces articles devront être scrutées afin de déterminer les premiers contours de la comparaison effectuée par les tribunaux.

 

Lors de la dénonciation d’un accord collectif, le dispositif de « rémunération à maintenir » peut revêtir la forme d’indemnité différentielle, qui s’appliquerait même en cas de conclusion d’un nouvel accord 

La loi de ratification apporte, paradoxalement, une précision et de la confusion sur la rémunération à maintenir en cas d’absence d’accord de substitution. Si cette rémunération peut être maintenue par le versement d’une indemnité différentielle, le nouveau texte semble indiquer que ce maintien doit avoir lieu même en cas de conclusion d’un nouvel accord.

Les textes sont en effet ainsi rédigés : 

« Lorsque la convention ou l'accord qui a été dénoncé n'a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord (…) les salariés des entreprises concernées conservent, en application de la convention ou de l'accord dénoncé, une rémunération dont le montant annuel, pour une durée de travail équivalente à celle prévue par leur contrat de travail, ne peut être inférieur à la rémunération versée lors des douze derniers mois. » (Article L.2261-13 du Code du travail)

La loi de ratification enrichit cette disposition en ajoutant que « Cette garantie de rémunération peut être assurée par le versement d’une indemnité différentielle entre le montant de la rémunération qui était dû au salarié en vertu de la convention ou de l’accord dénoncé et de son contrat de travail et le montant de la rémunération du salarié résultant de la nouvelle convention ou du nouvel accord, s’il existe, et de son contrat de travail. » (Article 21 de la loi de ratification, Article L.2261-13 modifié du Code du travail).

Dans cette rédaction, l’indemnité différentielle serait due y compris en cas de conclusion d'un nouvel accord, et non plus uniquement en cas d’absence d’accord de substitution.

La loi de ratification introduit donc une contradiction manifeste entre deux alinéas du même article.

 

Modifications relatives au régime juridique des accords d’entreprise et de groupe

Les dispositions relatives à la négociation des accords d’entreprise et d’établissements s’appliquent officiellement aux accords de groupe. Les accords de groupe sont en effet inclus, sauf disposition contraire, dans la notion de « convention d’entreprise », clarifie l’article L.2232-11 modifié du Code du travail.

 

Sécurisation du contentieux de la nullité des accords collectifs

Le juge saisi d’une action en nullité d’un accord collectif sera dorénavant contraint de statuer dans un délai maximal de six mois (Article L. 2262141 modifié du Code du travail, Article 2 de la loi de ratification).

 

Compétitivité : les accords nouvellement baptisés « de performance collective »

Les accords répondant aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise, dits « de compétitivité » créés par les ordonnances du 22 septembre 2017 et régis par l’article L.2254-2 du Code du travail, sont rebaptisés et plus clairement définis.

 

Le contenu obligatoire de l’accord est étoffé

Le préambule devra à l'avenir mentionner, en plus des informations déjà exigées par le texte initial, les modalités d’accompagnement des salariés refusant l’application de l’accord et l’abondement de leur compte personnel de formation au-delà du montant minimal (100 heures) prévu par l’article D.6323-3-2 du Code du travail.

La référence au SMIC, qui constituait une limite d’aménagement de la rémunération aux côtés des salaires minimums conventionnels, est supprimée. Cette modification demeure, selon nous, purement esthétique puisque le SMIC constitue une limite applicable en tout état de cause.

 

Assujettissement de l’accord de performance collective aux régimes légaux des dispositifs déjà existants que l’accord viendrait modifier

La loi de ratification dispose que lorsque l’application de l’accord de performance collective vient modifier un dispositif déjà existant ou le mettre en place, certaines dispositions propres à ce dispositif viennent s’appliquer à lui.  

Il en est ainsi :

  • Des dispositions propres aux dispositifs d’aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine (Décompte des heures supplémentaires, information des salariés sur le changement de répartition de la durée du travail, contenu des accords, délai de prévenance des salariés - Articles L.3121-41, L.3121-42, L.3121-44, L.3121-47 du Code du travail) 
  • Des dispositions propres aux conventions de forfait (Articles L.3151-53 à L.3121-66 du Code du travail). Toutefois, ne s’appliquent pas, en cas de simple modification d’un dispositif de forfait existant :

> l’article L.3121-55 du Code du travail relatif à l’obligation de recueillir l’accord écrit du salarié et la rédaction d’une convention individuelle de forfait ; 

> l’article L.3121-64 du Code du travail relatif aux caractéristiques individuelles obligatoirement comprises dans les conventions de forfaits individuels ;

 

Précision des modalités de mise en œuvre de l’accord et fixation d’un délai de deux mois pour licencier un salarié refusant l’application de l’accord

Les salariés doivent être informés, par tout moyen conférant date certaine et précise, de l’existence et du contenu de l’accord ainsi que de leur droit d’accepter ou de refuser son application à leur contrat de travail.

En cas de refus, l’employeur dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement, qui repose alors sur un motif spécifique constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement.

 

Clarification et assouplissement de la négociation d’entreprise

Afin de faciliter encore la négociation d’entreprise, la loi de ratification assouplit le régime de désignation des délégués syndicaux, interlocuteurs privilégiés de la négociation. Elle permet également aux entreprises dont l'effectif est de moins de 11 salariés (ou de 20 salariés sans élus) et qui sont dépourvues de délégués syndicaux, de réviser et de dénoncer des accords selon de nouvelles modalités.

Dans le prolongement, la majorité exigée pour la conclusion d’un accord avec le comité social économique (CSE) central, dans le cas d’entreprise ayant des comités sociaux et économiques d’établissements, est explicitée.

 

Assouplissement des modalités de désignation d’un délégué syndical dans l’entreprise

Selon l’article L.2143-3 actuel du Code du travail, un délégué syndical ne peut être désigné parmi les autres candidats ou à défaut, parmi les adhérents au sein de l’entreprise, qu’à la condition qu’aucun des candidats présentés par le syndicat ne remplisse le score électoral requis (10% minimum) ou qu’il n’existe plus dans l’entreprise de candidat atteignant ce score.

A l'avenir, si l’ensemble des salariés élus remplissant les conditions renoncent par écrit à leur droit d’être désigné délégué syndical, un syndicat représentatif pourra désigner un délégué syndical parmi les autres candidats, ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l’entreprise ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d’exercice de leur mandat au CSE, quand bien même il n’aurait pas atteint le score de 10%. (Article L.2143-3 modifié du Code du travail)

 

La clarification du régime de révision et dénonciation des accords collectifs d’entreprise

La loi de ratification apporte des clarifications sur les modalités de révision et de dénonciation des accords d’entreprise dans plusieurs situations où elles n’étaient pas explicitement prévues.

Ainsi, un nouveau dispositif de dénonciation et d’avenant de révision peut être proposé aux salariés dans les entreprises dépourvues de délégué syndical de moins de 11 salariés (ou de 11 à 20 salariés sans élus).

Les entreprises dont l’effectif est compris entre au moins 11 et 49 salariés et celles de plus de 50 salariés bénéficient également de ces précisions.

 

Entreprises dépourvues de délégué syndical
Entreprises de moins de 11 salariés (ou de 11 à 20 salariés sans élus)
RévisionL’employeur pourra soumettre un projet d’avenant soumis aux mêmes conditions de validité que l’accord initial (Approbation à la majorité des 2/3 du personnel après respect d’un délai de 15 jours à compter de la communication du projet)

 

(Article L.2232-21 et 2232-22 du Code du travail modifiés)

Dénonciation-    A l’initiative de l’employeur dans les conditions prévues par l’accord ou à défaut, dans les conditions de droit commun, c'est à dire par les signataires, conformément aux articles L.2261-9 et suivants du Code du travail. (Article L.2232-22 modifié du Code du travail)

 

-    A l’initiative des salariés dans les conditions prévues par l’accord. A défaut de conditions prévues, dans les conditions de droit commun  à condition que les deux tiers des salariés notifient collectivement et par écrit leur dénonciation, pendant un délai d’un mois avant chaque date anniversaire de la conclusion de l’accord. (Article L.2232-22 modifié du Code du travail)

N.B : Lorsque l’accord dont la révision ou la dénonciation est envisagée a été conclu selon d’autres modalités, par exemple avec un délégué syndical ou un salarié élu, il pourra tout de même être révisé et dénoncé selon ces modalités dès lors que l’entreprise est passée en dessous du seuil cité et n’a plus de délégué syndical. (Article L.2232-22-1 nouveau et L.2232-23 modifié du Code du travail)
Entreprises de 11 à 50 salariés
Les accords conclus avec des élus ou des salariés mandatés peuvent être dénoncés dans les entreprises de 11 à 50 salariés en application, à défaut de précisions supplémentaires, des modalités de droit commun, c'est à dire par leurs signataires. (Articles L.2232-23-1 modifiés)
Entreprises pourvues de délégué syndical
Dans les entreprises pourvues de délégué syndical, tout accord collectif pourra être dénoncé et révisé selon les modalités de droit commun « qu’elles qu’aient été ses modalités de négociation et de ratification». (Article L.2232-16 modifié du Code du travail)

 

Précision des règles de calcul de la majorité applicable à l’accord conclu avec des membres du CSE central

Enfin, les règles de calcul de la majorité applicables à l’accord conclu avec un ou des membres de la délégation du personnel au CSE central sont explicitées.  

La loi de ratification précise que « lorsqu’un accord est conclu par un ou des membres titulaires du CSE, il est tenu compte pour chacun des membres titulaires de la délégation, d’un poids égal au rapport entre le nombre de suffrages exprimés dans l’établissement en faveur de ce membre et du nombre total des suffrages exprimés dans chaque établissement en faveur des membres titulaires composant ladite délégation. » (Article L.2232-23-1 modifié du Code du Travail, Article 2 de la loi de ratification).